Un texte de Maxime Pelletier Labelle

J’ai vu mon grand-père par alliance pleurer. Dans le sinistre brouillard qui accompagnait les funérailles de ma mère, une de mes larmes n’était pas de tristesse. Assis sur une chaise, il y avait un homme immense comme un F-150, la tête penchée. Ses mains aussi grosses que les miennes en gants de skydoo étaient posées sur son visage. Des larmes y ruisselaient maladroitement, peu habituées à trouver leur route. La scène m’a ému. J’y voyais toute la beauté de la sensibilité masculine et le long chemin parcouru par cette génération d’hommes pour se réapproprier leurs larmes.
Encore aujourd’hui, on est plus souvent qu’autrement mal à l’aise avec un homme qui pleure, qui s’avoue vulnérable et parle de sa détresse ouvertement. Des générations de « t’es un homme, soit fort »; de « enweille ti-cul, relève-toi, un gars ça pleure pas »; de « fais pas ta tapette »; et de tapes derrière la tête pour des « sensibleries ». L’image de l’homme fort, stoïque, de marbre et en contrôle continu, à pourrir nos imaginaires. C’est au-delà de la brute, du goon sur la glace, de James Bond, de Rambo, du bon père de famille pourvoyeur ou des films de Vin Diesel, ça traverse toute l’éducation à être un homme de bord en bord. On appelle ça, étrangement, la virilité.
Se déconnecter de son vécu émotionnel, le taire et le cacher, laisse des séquelles dans la vie des hommes. Frapper dans le mur devient plus facile que nommer sa colère. Rouler en char vraiment trop vite parce que c’est plus simple que de faire face à une situation qui nous contrarie. Avoir vraiment envie de se confier à ses amis parce que notre vie de couple s’effondre, mais parler de sa nouvelle télé, du match de la veille ou de ses rénovations. S’enfermer dans le garage parce que le mal de vivre nous assaille et qu’on ne veut surtout pas le montrer à ses proches. Se sentir honteux à l’urgence parce que le cœur qui bat trop vite n’est pas une crise cardiaque, mais une crise d’angoisse. Ne pas prendre son congé de paternité même si on aimerait parce que les autres gars sur le chantier ne le prennent pas et que c’est « pour les femmes ». Ces situations sont banales et souvent sans répercussions graves, mais cette mécanique acquise de refoulement peut vite devenir néfaste et déboucher sur des comportements plus destructeurs.
Si s’avouer dépassé, anxieux, craintif, au bout du rouleau fait de nous des êtres non virils, demander de l’aide pour de la détresse émotionnelle devient l’antithèse de l’homme fort. Au lieu d’être vu comme une forme de courage, demander de l’aide psychologique est encore perçu comme un acte pour les « faibles ». Malgré les campagnes de sensibilisation, cette sournoise perception subsiste. Elle est solidement ancrée dans une conception dangereuse et rétrograde de la masculinité.
Les conséquences sont dévastatrices. Il est plus difficile de mobiliser leur réseau car ils craignent les répercussions sur leur image. La tendance à développer des mécanismes compensatoires malsains s’en retrouve renforcée : toxicomanie, problèmes de jeux, cyberdépendance, fuite dans le surtravail, etc. Les hommes consultent peu. Et souvent, ils le font lorsque la situation s’est grandement dégradée. Les hommes représentent plus du trois quart des suicides au Québec(1). D’autres fois, cette violence se tourne vers les autres et plus souvent qu’autrement, vers des femmes.
Les hommes doivent redéfinir la masculinité sur des bases saines où l’indulgence envers soi, l’expression de son vécu et la capacité à aller chercher de l’aide accompagnent le noble désir d’être là pour les siens, tout en étant plus que jamais des alliés des femmes dans une recherche d’égalité. Si, en route, nous devrons renoncer à certains privilèges, rappelons-nous que nous avons tant à gagner.
1. Source : Association Québécoise de prévention du suicide